Parmi les nombreux hommages qui lui sont rendus, c’est, me semble-t-il, celui du président Valéry Giscard d’Estaing qui résume le mieux la personnalité de Jacques Barrot : « C’était un homme profondément honnête, désintéressé, peu présent dans les intrigues de la vie politique, un homme politique comme on souhaiterait qu’il en reste encore beaucoup en France ».
Commissaire européen, de 2004 à 2010, il lui arrivait de regretter le « souverainisme latent » des États qui avaient parfois une curieuse conception de l’intégration européenne. Il ne transigeait jamais avec ses convictions. Quand Laurent Wauquiez, qui lui a succédé dans sa circonscription de Haute-Loire, prit des positions anti-européennes sans nuances au début de 2014, Jacques Barrot sortit de la réserve qu’il s’imposait pour critiquer l’orientation que prenait son successeur : « L’Union européenne mérite mieux que ce livre inspiré par je ne sais quel populisme en cours aujourd’hui ». Vice-président de la Commission européenne, sous Barroso, il connaissait mieux que personne les faiblesses des institutions européennes, mais ne supportait pas le populisme, teinté de nationalisme, à la mode actuellement.
Jacques Barrot savait que l’Union européenne n’a pas suffisamment de légitimité pour affronter les grands défis européens. Il était convaincu que la croissance ne pourrait revenir que si une nouvelle étape d’intégration venait consolider l’union économique et monétaire avec une plus grande harmonisation fiscale et sociale. L’Europe ne peut devenir une grande puissance – qu’elle n’est pas – que si les Etats souverains en expriment la volonté. Cernée par des menaces, confrontée à des incertitudes géopolitiques qui se précisent, l’Europe ne peut rester durablement dans la situation actuelle, sans défense, ouverte à tous les vents, sans politique étrangère. La Commission européenne et le Parlement européen peuvent prendre des initiatives, mais ne peuvent se substituer aux Etats qui ont à prendre des décisions – sans les remettre à plus tard – dans les domaines politiques, économiques et sécuritaires.
Jacques Barrot avait consacré une grande partie de sa vie au projet européen.
Jacques Barrot et le logement.
Fin avril 1958, un mois avant la fin de la IVème République, Eugène Claudius Petit déclarait dans La Croix : « Il n’y a pas de politique du logement en France, je veux dire de politique stable, digne de ce nom.
Deux républiques, depuis 1945, plus de cinquante gouvernements, trente-trois ministres de la construction, du logement ou autres appellations, en situation de pouvoir – et de devoir – améliorer la situation, ont promis, empilé les textes, saupoudré les aides publiques, sans jamais être en mesure de pouvoir déclarer, comme le fit le gouvernement de l’Allemagne fédérale en 1965 : « Notre pays a résolu la crise du logement née avec la guerre. Désormais, la demande d’habitat n’est pas plus élevée que l’offre ».
Je considère qu’avec Claudius Petit, Pierre Sudreau et Jean-Louis Borloo, Jacques Barrot a été un des meilleurs ministres du logement depuis 1945. Ceux qui en douteraient sont invités à se reporter à l’histoire des politiques du logement depuis la dernière guerre, que j’ai publiée en 2012. Le livre est en accès libre sur ce blog.
Bref rappel de son action :
Au mois de novembre 1974, un jeune cadre de province, fraichement muté à Paris, se rendit, accompagné de sa femme, dans un certain nombre de bureaux de vente de la région parisienne. Ce couple ressemblait à tous les autres couples, posait aux vendeurs les mêmes questions et entendait les mêmes réponses…A ceci près que le mari n’était autre que Jacques Barrot, nouveau secrétaire d’Etat au logement, et sa femme, une journaliste d’un des principaux hebdomadaires. « Quelle aventure ! » devait déclarer le ministre, à l’issue de ces visites qui mettaient en évidence un certain nombre de difficultés. Tout d’abord, celle qu’il y a à vendre un produit qui n’existe pas, ou qui est en cours de fabrication. Ensuite la difficulté qu’il y a à fournir clairement et avec précision une masse de renseignements techniques, administratifs, juridiques et financiers ; enfin, la nature, pour ne pas dire la faiblesse, des méthodes de vente employées et l’insuffisante formation des vendeurs. Le ministre, quelques jours plus tard, tira les enseignements de ses visites devant des professionnels réunis, en déclarant : « Le stade de la qualité-gadget, de l’appartement témoin luxueusement meublé et du sourire de l’hôtesse est dépassé. Le ménage en quête de logement pense isolation acoustique, isolation thermique ; il pense aussi aux charges et à l’entretien, à la qualité vraie, qui ne se perçoit pas toujours au premier coup d’œil. Cette politique pour réussir, dépend en très grande partie de vous. »
En juillet 1975, VGE avait commandé deux rapports. L’un à Raymond Barre, le professeur d’économie politique, auteur d’un ouvrage que tous les étudiants en science politique connaissent, qui reçut pour mission de présider une commission chargée de faire des propositions pour réformer le financement du logement. L’autre à Simon Nora et Bertrand Eveno portait sur l’amélioration de l’habitat ancien.
Raymond Barre et les membres de la commission qu’il présidait arrivèrent à la même conclusion : « L’état de misère dans lequel certaines personnes sont abandonnées est indigne de la France ». L’aide à la personne doit être revalorisée. Les classes moyennes, et à plus forte raison les plus favorisées, ne doivent plus pouvoir s’enrichir en spéculant sur l’inflation des prix de l’immobilier et en bénéficiant durablement d’annuités de remboursement d’emprunts subventionnés par l’Etat. L’examen des situations personnelles doit être décentralisé et déconcentré. Le constat confirme que la demande de logement, mis à part le logement dit social, est à peu près couverte par l’offre qui s’est considérablement accrue ces dernières années. Il faut donc réserver l’effort financier de l’Etat aux investissements productifs, aux principaux cas sociaux et amorcer un désengagement de l’Etat qui devra être relayé par l’épargne privée.
Ce rapport fournit au secrétaire d’Etat au Logement, Jacques Barrot, tous les éléments constitutifs de la réforme du financement de 1977 dont il sera le principal artisan et qui constitua un tournant très important de la politique du logement.
Cette réforme avait pour but : de développer l’accession à la propriété, de faciliter la réhabilitation de l’habitat ancien, de réduire les inégalités d’accès au logement social, d’élargir le choix entre les différentes possibilités d’acquérir ou de louer un logement et d’améliorer la qualité des logements. Pour atteindre ces buts, Jacques Barrot mit au point avec ses services, deux nouvelles catégories de prêts qui devaient remplacer les anciens prêts aidés. Les prêts aidés à l’accession à la propriété, les PAP et les prêts locatifs aidés, les PLA. Les PAP étaient réservés aux ménages dont les ressources ne dépassaient pas un plafond fixé par arrêté dans chaque zone géographique. La durée du prêt est de vingt ans avec un différé d’amortissement de deux ans et une progressivité des annuités de remboursement.
La réforme institua également les prêts conventionnés, les PC, qui avaient pour caractéristiques essentielles de ne bénéficier d’aucune aide de l’Etat, d’avoir un taux plafond fixé périodiquement par les pouvoirs publics en fonction de l’évolution du marché obligataire, d’être réservés au financement de la résidence principale et d’être également accessibles aux acquéreurs d’un logement ancien. Ces prêts pouvaient atteindre 90% du montant de l’acquisition. Mobilisable auprès du Crédit Foncier de France ou sur le marché hypothécaire, ce type de prêt eut beaucoup de succès. Pour compléter le dispositif, une aide personnalisée au logement – APL – destinée à aider les plus faibles fut mise au point. Elle améliorait et remplaçait l’ancienne allocation logement. Son montant prenait en compte les revenus des ménages, la composition du foyer et son budget logement.
Jacques Barrot a occupé les fonctions de ministre du logement du 27 mai 1974 au 31 mars 1978. Cette longévité exceptionnelle lui a permis de mener à bien une des plus importantes réformes des soixante dernières années.
Il faut noter cependant que cette réforme fut, comme souvent, le résultat de compromis entre les thèses qui s’affrontaient. Le mouvement HLM exerça une pression vigoureuse sur Raymond Barre et Jacques Barrot.
Quand Jacques Chirac annonça le 25 août 1976 que « ne disposant pas des moyens nécessaires pour assumer ses fonctions de Premier ministre », il remettait sa démission au président de la République, la réforme était encore en cours d’élaboration. Le nouveau Premier ministre, Raymond Barre, connaissait particulièrement bien ce dossier. Jacques Barrot conserva heureusement ses fonctions. Centriste, démocrate-chrétien, le député maire d’Yssingeaux était un négociateur de grand talent qui avait la passion de la réforme. Très gros travailleur, il avait cette chaleur humaine et cette sincérité qui emportent les convictions.
Les années ont passé. En cette fin d’année 2014, le bâtiment va mal, alors qu’il est un important pourvoyeur d’emplois non délocalisables et que l’effort public en faveur du logement représente 2,1 % du produit intérieur brut, soit plus de 40 milliards d’euros par an. Le nombre de logements neufs construits cette année devrait être inférieur à 300 000 pour la première fois depuis les années 50, loin des 500.000 logements neufs annuels que François Hollande s’était fixé comme objectif,
« Relancer la construction, c’est une priorité sociale pour les familles, pour les jeunes, mais c’est aussi un impératif économique ! Le bâtiment est un moteur de l’économie française, qui entraîne de nombreux secteurs d’activité et des dizaines de milliers d’emplois. La part de ce secteur dans la croissance économique est donc déterminante. Nous devons accélérer, et lever les blocages dans le secteur du logement », disait Manuel Valls, il y a quelques mois.
Le plan de relance du logement et de la construction annoncé tarde à produire ses effets.
La Fondation Abbé Pierre estime pourtant que 800.000 personnes sont « aux portes du logement« . Ce qui manque, ce sont des logements à des prix abordables et de bonne qualité, pour au moins 800.000 personnes.
Eugène Claudius Petit avait raison : « Il n’y a pas de politique du logement en France ».
Il n’y en a toujours pas !
Laisser un commentaire