« Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé ». Montesquieu


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Je croyais cette citation de Montesquieu exacte ; elle ne l’est malheureusement qu’en partie, pendant quelques instants. Pour combattre l’anxiété qui m’envahit en permanence, depuis que mon fils est en réanimation à l’hôpital Raymond Poincaré, je revisite l’œuvre exceptionnelle de Balzac. J’ai trouvé un passage qui me semble particulièrement d’actualité après la période des vœux, des cadeaux, des attentions, des bonnes résolutions. Mardi, l’univers impitoyable dans lequel nous vivons sautait aux yeux. La bêtise au quotidien avait repris le dessus avec sa brutalité, sa suffisance, sa médiocrité. Bref, la comédie humaine avait repris son cours. Le lecteur mettra aisément un nom de collègue de travail, de voisin, de parent, d’homme politique du moment sur ce portrait que Balzac brosse du comte d’Aiglemont dans « La femme de trente ans ».
« Ne se rencontre-t-il pas beaucoup d’hommes dont la nullité profonde est un secret pour la plupart des gens qui le connaissent. Un haut rang, une illustre naissance, d’importantes fonctions, un certain vernis de politesse, une grande réserve dans la conduite, ou les prestiges de la fortune sont, pour eux, comme des gardes qui empêchent les critiques de pénétrer jusqu’à leur intime existence. Ces gens ressemblent aux rois dont la véritable taille, le caractère et les mœurs ne peuvent jamais être ni bien connus ni justement appréciés, parce qu’ils sont vus de trop loin ou de trop près. Ces personnages à mérite factice interrogent au lieu de parler, ont l’art de mettre les autres en scène pour éviter de poser devant eux ; puis, avec une heureuse adresse, ils tirent chacun par le fil de ses passions ou de ses intérêts, et se jouent ainsi des hommes qui leur sont réellement supérieurs, en font des marionnettes et les croient petits pour les avoir rabaissés jusqu’à eux. Ils obtiennent le triomphe naturel d’une pensée mesquine, mais fixe, sur la mobilité des grandes pensées. Aussi pour juger ces têtes vides, et peser leurs valeurs négatives, l’observateur doit-il posséder un esprit plus subtil que supérieur, plus de patience que de portée dans la vue, plus de finesse et de tact que d’élévation et de grandeur dans les idées. Néanmoins, quelque habileté que déploient ces usurpateurs en défendant leurs cotés faibles, il leur est bien difficile de tromper leurs femmes, leurs mères, leurs enfants, ou l’ami de la maison ; mais ces personnes leur gardent presque toujours le secret sur une chose qui touche, en quelque sorte, à l’honneur commun ; et souvent même elles les aident à en imposer au monde. Si, grâce à ces conspirateurs domestiques, beaucoup de niais passent pour des hommes supérieurs, ils compensent le nombre d’hommes supérieurs qui passent pour des niais, en sorte que l’Etat Social a toujours la même masse de capacités apparentes. »
Je dois ajouter que depuis la Restauration, ce portrait vaut aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Enfin, peut-être pas encore tout à fait !


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