Quiconque a dans sa famille un producteur de lait, ne peut être insensible au drame qu’aucune autre profession ne supporterait sans crier au scandale.
La Politique Agricole Commune (PAC) est malheureusement incapable de garantir un revenu décent aux producteurs qui, par conséquent, réclament le retour des quotas laitiers.
Que faut-il en penser ?
Progressivement, ceux-ci ont été abandonnés et les prix laissés à la dure réalité du marché avec tout ce que cela supposent de spéculation et de manipulation des cours. La régulation, précédemment, consistait à encadrer les quantités, par un système de quotas fixés chaque année pour chaque Etat membre de l’UE, par des prix indicatifs fixés par la Commission, par un mécanisme d’intervention lorsque les prix tombaient en dessous d’un certain seuil et surtout, par la fixation de prix indicatifs. Les producteurs étaient, avec ce système, à peu près certain de vendre leur production à un prix convenable sur lequel il pouvait compter.
Comme il faut toujours changer un système qui donne à peu près satisfaction, les organes de régulation décidèrent de démanteler la formule des prix administrés et de remplacer celle-ci par des aides directes et une augmentation des quotas, en attendant la suppression définitive prévue en 2015. Le prix d’intervention, dans le même temps, est devenu de moins en moins attractif et, petit à petit, le système est passé de la réglementation au marché pur et simple, c’est-à-dire défavorable aux producteurs. Résultat, le prix du lait, qui était assez stable depuis plusieurs années, s’est déréglé, passant par des hauts, en 2007, et chutant brutalement à la fin de l’année 2008. Des amplitudes de l’ordre de 50% n’étaient pas supportables pour un pays comme la France, deuxième producteur européen et grand exportateur.
Danone et Lactalis, entreprises de taille mondiale, achètent la moitié de la production française. Dans les autres pays membres, ce sont souvent des coopératives qui collectent et transforment. Dans ce contexte, la colère des producteurs, à la fin de l’année 2008, était compréhensible. Comment peut-on gérer convenablement une exploitation, faire des investissements couteux, s’endetter, si le prix payé n’est pas suffisant, et de loin, pour compenser les coûts de production. Aucune activité n’y résisterait.
Malheureusement, pour les exploitants français, depuis le processus de Lisbonne, c’est-à-dire depuis le Conseil européen de mars 2000, la mode est à la dérégulation, au tout libéral. Dix ans après, les résultats ne sont pourtant pas convaincants, aucun des objectifs n’a véritablement était atteint. Tous les Etats membres ne sont pas du même avis et n’ont pas la même culture et la même histoire. Danois, Hollandais, Polonais, Irlandais, considèrent, qu’au nom de la compétitivité, il faut tout simplement accepter l’élimination des exploitations qui ne sont pas rentables. Les producteurs français ne l’entendent pas ainsi et réclament le retour des quotas. Pour maintenir les quotas, il faut une décision du Conseil à la majorité qualifiée. C’est peu probable, une majorité de pays est hostile au maintien des quotas.
Dans son langage communautaire, Le Conseil européen a invité la Commission à présenter avant la fin de l’été « une analyse approfondie du marché, indiquant notamment les formules possibles pour stabiliser le marché des produits laitiers, tout en respectant les résultats du bilan de santé de la PAC » Dans ce contexte, un retour aux quotas ne paraît guère envisageable. En outre, il faut être conscient du fait qu’une majorité est clairement hostile au maintien des quotas.
Le nouveau ministre, Bruno Lemaire, considéré comme un des meilleurs de sa génération, va avoir l’occasion de faire la démonstration de ses talents. Ce ministère a souvent constitué un tremplin pour les futurs chefs d’Etat (Rocard, Chirac, Faure). S’il se contente de colmater les brèches, de calmer les mécontentements, à court terme, il a peu de chance de marquer son passage rue de Varenne. Si, avec de l’imagination, les qualités de négociateur qu’on lui reconnait, il parvient à convaincre nos partenaires, et notamment l’Allemagne qu’il connait bien, que des aides directes, en attendant que la demande se redresse, permettraient de traverser la crise actuelle et d’imaginer d’autres solutions, son arrivée serait appréciée.
Pour l’instant, le ministre a déclaré que les quotas représentaient la « ligne Maginot de l’élevage laitier ». Pour les pays membres, opposés aux quotas, mais qui ont de la mémoire, cet argument laisse de l’espoir !
Les Français soutiennent leur agriculture, mais, à la veille de l’ouverture de négociations sur l’avenir de la PAC, notre pays ne doit pas s’isoler. Il doit se préparer à des compromis et à des alliances sur de nombreux dossiers. Il ne faudrait pas que le lait serve de monnaie d’échange. Dès que le Traité de Lisbonne aura était adopté par tous les pays membres et que les nouvelles institutions seront en place, le Président de la République et son ministre de l’Agriculture devront exiger que la Commission et le Conseil s’attaquent sérieusement et durablement au délicat problème du niveau de vie des agriculteurs. Faire le dos rond et attendre que l’offre et la demande se régulent naturellement n’est pas une solution. La spéculation, dans ce domaine comme dans d’autres, se fera toujours sur le dos des producteurs qui n’ont pas une taille suffisante.
L’Union européenne a le devoir de trouver des solutions en concertation avec les Etats et la profession. Celles-ci passent sans doute par de nouvelles relations contractuelles entre les producteurs, les industriels qui transforment le lait et la grande distribution. Est-ce possible ? C’est la noblesse de la politique que de rendre possible ce qui semble ne l’être. La vente directe du lait par les producteurs, par exemple, est-elle une piste à explorer ? Aider et redynamiser la coopération agricole dans notre pays, est-ce envisageable ? Sans doute, tant l’organisation du marché parait souvent absurde. Les consommateurs le souhaitent. Les politiques doivent les entendre. Les prochains mois vont être décisifs.
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