« le 29 mars 1988, à 10 heures, au 28, rue des Petites-Ecuries, à Paris 10e, était découvert le cadavre d’une femme de type mulâtre mortellement blessée de plusieurs coups de feu sur le palier du 4e étage du bâtiment C devant les bureaux de l’African National Congress, l’ANC ».


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Dans le grand stade Soccer City de Soweto, où Nelson Mandela avait fait sa dernière apparition publique lors de la finale de la Coupe du monde de football en 2010, au milieu des compagnons de route qui ont lutté, pendant cinq décennies, pour l’émancipation des Noirs, il manquait une femme, une militante courageuse, qui ne bénéficiait d’aucune protection policière alors qu’en sa qualité de représentante de l’ANC en France, Dulcie September se sentait suivie, épiée en permanence. « le 29 mars 1988, à 10 heures, au 28, rue des Petites-Ecuries, à Paris 10e, était découvert le cadavre d’une femme de type mulâtre mortellement blessée de plusieurs coups de feu sur le palier du 4e étage du bâtiment C devant les bureaux de l’ANC [African National Congress], organisation anti-apartheid. » C’est ainsi que le rapport de police a fait état de la mort de Dulcie September assassinée en plein Paris, dans le pays des droits de l’Homme. Elle avait 42 ans et vivait en France, en exil, depuis une dizaine d’années. La justice française n’a jamais pu identifier les auteurs et les commanditaires de cet acte criminel. Comme toujours dans ces cas là, des rumeurs ont très vite circulées.

Dulcie September
Dulcie September

Que s’est-il passé ce jour là dans la France de Mitterrand, en période de cohabitation ? On ne le saura sans doute jamais. « Secret d’Etat », pour ne pas compromettre les relations entre les deux pays, telle fut la seule explication avancée par ceux qui honorent régulièrement la mémoire de cette résistante ? Au mépris du boycott international décidé par l’ONU, qui frappait le régime de Pretoria, la France aurait livré des armes et des équipements nucléaires à l’Afrique du Sud.  Dulcie September aurait enquêté d’un peu trop près ; elle aurait été au courant de transactions répréhensibles. Un commando sud-africain aurait alors exécuté la militante et serait reparti. Parmi les suspects,  l’Afrique du sud avait naturellement été suspectée ;  un mercenaire de Bob Dénard aussi. On ne prête qu’aux riches !

Le rapport de police indique que Dulcie September était «  née le 20.08.1935 à Cap Town, République sud-africaine, domiciliée au 7, avenue de la Convention à Arcueil (94). Célibataire. Représentante de l’ANC pour la France, la Suisse, le Luxembourg, avait une carte de résident temporaire ».

Trois ans plus tard, le 16 avril 1991, le compte rendu d’enquête de la Brigade criminelle adressé à la juge en charge du dossier précise: « Il apparaît que l’assassinat de Dulcie September a vraisemblablement été méticuleusement préparé et exécuté à 9h45 hors la présence de témoins. Les seuls indices matériels recueillis sur les lieux sont les étuis de cartouches de calibre 22 de marque Hirtenberger. Une empreinte a été relevée sur l’ascenseur et deux mégots de cigarette Marlboro ont été découverts dans l’escalier. Il n’est toutefois pas permis d’affirmer que cette trace et ces mégots ont un rapport avec le ou les assassins… Cette action s’inscrit, semble-t-il, dans une vaste entreprise d’élimination des responsables de l’ANC au niveau européen et fait suite a des attentats ou projets d’attentat contre les dirigeants de l’ANC à Londres et à Bruxelles. » Le 17 juillet 1992, une ordonnance de non-lieu a été rendue. Affaire classée.

De passage à Paris en juillet 2006, Jacob Zuma, qui n’était encore que le vice-président de l’ANC, avait déclaré : « Nous savons que cet assassinat a été commis par des agents de l’Apartheid, mais, nous voulons savoir comment cet acte odieux a pu être commis en France, que nous considérions comme une terre sûre ».  Il avait ajouté qu’un « jour l’histoire dira qui a prêté main forte à l’assassinat d’une femme qui n’était pas un guérillero ».

Mandela1Au Panthéon des héros de la lutte contre l’apartheid, quel aurait pu être le destin de Dulcie September, cette femme intransigeante et de grande valeur? En 1994, quand les premières élections multiraciales ont permis à Nelson Mandela d’être élu président de la République, cette militante de l’ANC, fondé en 1912, à Bloemfontein, pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche, aurait probablement occupé des fonctions importantes dans ce mouvement qui domine la vie politique sud africaine depuis cette date.

Barack Obama pendant son discours
Barack Obama pendant son discours

En 1988, un an avant la chute du Mur et la fin du communisme, qui aurait osé imaginer que six ans après l’assassinat de Dulcie September, l’ANC, hors-la-loi pendant l’apartheid, accéderait au pouvoir et que le jour des obsèques de Nelson Mandela, le monde entier entendrait le président des Etats-Unis, acclamé par la foule réunie au Soccer City de Soweto dès qu’il est apparu sur les écrans géants, prononcer ces mots : « Il est difficile de faire l’éloge de n’importe quel homme, mais c’est encore plus difficile pour un géant de l’histoire qui a mené une nation vers la justice. » Et d’ajouter : « L’exemple de Madiba me donne envie d’être un homme meilleur. Il s’adresse à ce qu’il y a de meilleur en nous. » Que dire enfin de la comparaison avec les pères fondateurs des Etats-Unis et les militants des droits civiques. « Michelle et moi sommes les bénéficiaires de cette lutte. »

Ombre et lumière ; Il n’y avait pas grand monde devant l’entrée principale du cimetière du Père-Lachaise, en haut de la rue de la Roquette, ce jour du mois d’avril 1988, pour les obsèques de Dulcie September. Je le sais, j’y étais, profondément choqué par ce crime odieux. Le 10 décembre 2013, devant la foule qui chantait et dansait, comme l’aurait sans doute voulu Nelson Mandela, les personnalités se sont succédées pour prononcer des discours, souvent longs comme des tunnels, pour rendre hommage au grand homme. Ce n’était plus le stade de Soccer City de Soweto, c’était la tribune des Nations-Unies !

Tout n’est pas rose en Afrique du Sud, c’est le moins qu’on puisse dire, mais hier, tout le monde était bon, tout le monde était gentil, y compris le président cubain, Raul Castro, qui n’en croyait pas ses yeux …et ses oreilles !

 


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