1983 – 1993 (suite)
L’année 1990 commença sous les meilleurs auspices. Il n’y avait, de l’avis des experts, aucune raison que la conjoncture montrât des signes d’essoufflement. Ils ne prédirent pas seulement une nouvelle année de prospérité, mais commencèrent à parler d’une décennie de croissance. L’INSEE, l’OCDE, le BIPE, à l’appui de cette affirmation, avancèrent plusieurs arguments : L’Europe constituait un nouveau pôle de croissance, elle « n’éternuait plus quand les Etats-Unis prenaient froid », la croissance était supérieure à l’inflation, le pouvoir d’achat augmentait régulièrement, les comptes des entreprises allaient de records en records, les chefs d’entreprises avaient un « moral d’acier », et l’année 1990 ne comportait pas de consultation électorale. Tout ce qui était bon pour l’économie, étant bon pour l’immobilier, notamment dans le haut de gamme ; le ciel apparaissait sans nuage pour les spécialistes de la construction. Ceux-ci étaient convaincus que la hausse des prix ne pouvait ralentir compte tenu du déséquilibre entre l’offre et la demande, que Paris, avec ses grands projets urbains, allait devenir la capitale européenne et que le placement rapide des programmes ne nécessitait pas de crédits importants comme par le passé. Bref, tout allait bien dans le meilleur des mondes.
Sur la Côte d’Azur, où les beaux terrains étaient également rares, COGEDIM eut l’opportunité de s’associer avec un groupe norvégien qui venait d’obtenir du maire de Mougins, un accord de principe pour réaliser un parcours de golf et un ensemble immobilier sur une très belle propriété d’une cinquantaine d’hectares.
Pour faire face à son développement, COGEDIM saisit l’opportunité d’acquérir, en l’état futur d’achèvement, l’immeuble « Chaptal Square » situé à Levallois, mais très près de Paris, dont l’achèvement était prévu au mois d’avril 1991.
Dans la nuit du 1er au 2 août 1990, l’armée irakienne envahit le Koweït. Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, réuni en urgence, condamna l’Irak à l’unanimité et exigea « le retrait immédiat et inconditionnel ». Le 8 août, l’Irak annexa le Koweït et Saddam Hussein chercha à entraîner les pays de la région en étendant le problème à la question palestinienne. Le prix du baril de pétrole flamba. La Bourse de Paris accusa une baisse sensible. La dégradation de l’activité immobilière se confirma de semaine en semaine, à la mesure de l’euphorie qui régnait précédemment. L’offre, c’est-à-dire les programmes qui étaient dans les tuyaux, continua à gonfler, à des prix de plus en plus élevés, alors que le coup de frein sur les ventes était violent. Comme au début de chaque crise, les professionnels nièrent la gravité de la dégradation de la conjoncture et firent à la presse des déclarations surréalistes. Pour eux, après le boom, il ne pouvait y avoir de krach, pour deux raisons évidentes : l’offre et la demande sont équilibrées et la crise économique redonnera à la pierre ses qualités de valeur-refuge. Ils ne voyaient aucune raison pour que les prix baissent.
Dans les régions, à l’exception de la Méditerranée, soutenue par le bon démarrage de Mougins, les résultats étaient faibles. Les programmes Hespérides tirèrent leur épingle du jeu. En Ile-de-France, COGEDIM était engagée dans des opérations longues et compliquées : le Marché Saint-Germain, boulevard du Château à Neuilly, rue de Madrid, rue de Rennes, dans le centre-ville de Boulogne, dans la ZAC Noblet à Rueil, avenue Daumesnil, Le Victorien, des terrains à Issy les Moulineaux, à Levallois et à Meudon étaient encore en cours de négociation. COGEDIM était le prestataire de services de Paribas pour le Marché Saint Honoré, de CANAL PLUS, d’HAVAS, et dans l’aménagement de la Porte Maillot
La composition de conseil d’administration de COGEDIM connut quelques modifications. Patrick de Fréminet, le fiscaliste de Paribas, François Henrot, directeur général de la Compagnie Bancaire, Pierre Labbé-Laurent, qui dirigeait la gestion privée de Paribas, Bertrand de Feydeau, directeur immobilier d’AXA et Michel Pariat, représentant l’UAP, entrèrent au conseil. C’est également à cette date que Jean Diaz quitta COGEDIM. Il avait l’opportunité, avec l’aide d’AXA, de reprendre une entreprise de promotion, OGIC, pour la développer, ce qu’il fit brillamment, avec le succès que l’on sait.
Le ralentissement de l’activité fut rapide et important. Dans le domaine du logement neuf en Ile de France, notamment, le nombre de logements vendus baissa de près de 50% par rapport à l’année précédente. A Levallois et à Boulogne, ce fut l’effondrement. Néanmoins, COGEDIM réalisa un chiffre d’affaires de 3,3 milliards de francs, en baisse de 40% par rapport à l’année précédente.
C’était une crise que Michel Mauer qualifia de « crise du siècle ». Ce ne fut pas une vraie guerre, mais ce fut une vraie crise qui, progressivement, s’étendit à l’ensemble de l’économie mondiale. La bulle avait bel et bien éclatée. Pourquoi acheter aujourd’hui, quand on a toutes les raisons de penser que demain, les prix seront plus bas. C’est la définition même de la déflation. Emprunter était devenu de la folie, puisque c’était s’engager à rembourser plus que la valeur du bien. Le sentiment de s’appauvrir un peu plus chaque jour, se répandait ; la crise arriva à son paroxysme. Les « aides à la vente », pour reprendre le terme pudique qui était employé pour parler des baisses de prix, se multiplièrent : bonification d’intérêts, différé de remboursement, engagement de rachat du bien ancien, garantie locative, location vente, doublement des réductions d’impôts, prise en charge de loyer, l’imagination était fertile. La crise était profonde. Il ne s’agissait pas d’une « correction », d’une simple « rupture de tendance », pour employer les euphémismes en usage. Le volume des ventes avait baissé de 50% depuis 1990 et les prix, dans des proportions également importantes. Les mises en chantier étaient revenues au niveau de 1954, année symbolique de la « crise du logement » qui renvoyait à l’appel de l’abbé Pierre. Les investisseurs se désengageaient, les Français ne voulaient plus emprunter et la pénurie se profilait.
Sur le plan politique, l’ambiance était « à couper au couteau ». Les « affaires » qui concernaient, de près ou de loin, le financement des partis politiques, se multipliaient. COGEDIM, comme un certain nombre de grandes entreprises de promotion, ne put y échapper. Le Premier ministre, savait qu’il devait apporter une réponse à la déroute prévisible qui s’annonçait aux élections prochaines, mais, défenseur de la « dévaluation compétitive », il résistait aux pressions en faveur d’une relance du bâtiment. Il fallut attendre le mois de février 1993, pour qu’il annonce enfin une relance de la politique du logement. C’était trop tard. L’opposition, par la voix de Nicolas Sarkozy et des experts, proches des organisations professionnelles, dont Edouard Balladur s’entourait, avaient déjà annoncé ce qu’ils feraient dès leur retour « aux affaires ». Le pouvoir que les Français eurent à juger en mars 1993 était épuisé et les engagements des banques dans l’immobilier commençaient à devenir un sujet de préoccupation majeur, de nature à ébranler l’économie française.
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